TRAVAIL DOMESTIQUE Un métier à problèmes
Elles sont des milliers de jeunes filles à s’activer dans le travail domestique, notamment à Dakar. Et pendant les grandes vacances, leur nombre augmente sensiblement. En dépit d’un salaire dérisoire, leurs conditions de travail sont très pénibles. De même qu’elles sont confrontées à tous les risques. Reportage.
L’affaire du viol présumé du responsable politique de l’Apr, Sitor Ndour, à l’encontre de sa domestique en dit long sur les risques que peuvent encourir les femmes de ménage. N’empêche qu’elles sont des milliers de jeunes filles à s’adonner au travail domestique à Dakar. On les retrouve faisant le guet dans des points de regroupement comme celui de Liberté 6, derrière la station du round-point du même quartier. A notre passage, des dizaines de jeunes filles sont assises sous des tentes, attendant un employeur. En tee-shirt bleu, un sac en bandoulière, un homme chargé de la médiation entre elles et tout employeur qui se présente, oppose un refus catégorique à notre demande d’interview. Assises sous deux tentes qui se font face de part et d’autre de la route, plusieurs filles attendent d’être employées, mais sur injonction de leur intermédiaire, elles refusent de coopérer.
De l’autre côté de la rue, face à une boutique, sous un arbre, on peut aussi apercevoir des dizaines d’autres jeunes filles, toutes assises sur des bancs en bois. Téléphone à l’oreille, un homme de taille moyenne, vêtu en Lacoste vert, discute avec quelqu’un au sujet d’une ménagère. « Elle ne peut travailler avec moins de 50 000F FCFA, si c’est à Saint Lazard. Car si elle retire de son salaire les frais du transport, il ne restera pas grand-chose », dit l’intermédiaire au téléphone. Fin de l’appel.
Quant à notre demande d’interview, on dirait qu’ils se sont passé le même mot d’ordre. Le responsable chargé de trouver des employeurs pour les filles, émet lui aussi un niet catégorique. Il s’explique : « je comprends vos préoccupations mais je préfère garder le silence », explique-t-il.
Non loin de là, sur le même alignement, près d’un restaurant, d’autres jeunes filles sont en grande discussion, espérant trouver du travail avant la fin de la journée.
A force d’insister, on parvient enfin à leur arracher quelques confidences. On apprend ainsi qu’elles sont encore plus nombreuses pendant cette période des grandes vacances à se ruer vers ce métier. Ces jeunes filles disent vouloir travailler afin de pouvoir satisfaire leurs besoins financiers par leurs propres moyens. L’achat des fournitures scolaires est un casse-tête dans de nombreux foyers sénégalais. Ce qui pousse certains élèves à exercer ce métier durant les grandes vacances.
C’est la ruée durant les grandes vacances
C’est le cas pour cette jeune fille âgée de 15 ans, en classe de 6ieme au collège, trouvée assise sous une tente avec ses camarades. Elle espère trouver un preneur. Maman Sène, c’est son nom, est originaire de Sandiara dans le département de Mbour, mais elle s’est installée à Dakar depuis la classe de CE1. Elle dit vouloir travailler pour se payer des fournitures. « Pendant les grandes vacances, je travaille pour me payer des fournitures scolaires et acheter des habits à l’ouverture », raconte-t-elle. Issue d’une famille de monogame et d’un père maçon, elle dit surtout qu’elle fait ce travail pour alléger les charges de son géniteur. « Mon père me paie les fournitures, mais j’ai choisi ce boulot pour lui diminuer les charges », précise la jeune fille.
Sous cette même tente, est assise Monica Mendy ; elle est originaire de Ziguinchor. Habillée en body noir, perruque sur la tête et un petit sac noir en bandoulière, elle aussi dit vouloir travailler pour subvenir à ses besoins. « C’est la première fois que je m’engage dans ce travail ; j’espère trouver du boulot pour subvenir à mes besoins », affirme mademoiselle Mendy. Elle dit avoir abandonné l’école pendant de longues années : « j’ai laissé les bancs depuis la classe de CM2 et je restais à la maison pour assister ma mère dans les travaux ménagères », argue-t-elle.
Toutefois, il ne leur suffit pas de trouver l’emploi tant recherché pour voir le bout du tunnel, car certaines travailleuses domestiques disent subir de mauvais traitements et se désolent de la lourdeur des tâches à accomplir dans les ménages. « A l’heure du repas, je me contente des restes, après que la famille de mon employeur ait fini de manger », se rappelle Marième Ndiaye.
Elle est dans ce travail depuis plus de trente-cinq ans et se souvient de ses débuts. Elle était gamine. « J’ai commencé ce travail domestique à mon tout jeune âge. Je me souviens, je ne pouvais même pas porter un enfant sur le dos, on m’aidé à le faire », se souvient-elle. Avant d’ajouter qu’elle a commencé ce travail à bas prix, maintenant elle peut être payée jusqu’à 50 000F.
Veuve et mère de quatre enfants Marième Ndiaye dit, elle, être fière de ce qu’elle fait mais réclame une meilleure considération. « Je suis très fière de mon travail de domestique, c’est ce que j’ai choisi de faire et souvent nos patrons nous minimisent et ne nous considèrent pas à notre juste valeur », lâche-t-elle
- Ndiaye est originaire de Touba, actuellement elle vit à HLM Liberté 6 avec sa famille et son angoisse n’a cessé de croitre depuis qu’elle a perdu son mari, il y a maintenant cinq ans. « Ce travail me permet d’entretenir ma famille et la vie est devenue plus chère. Si l’Etat peut diminuer les denrées de première nécessité, ça nous arrangerait », plaide-t-elle.
Ces domestiques sont assistées par des hommes qui leur servent d’intermédiaires auprès de leurs employeurs. Ces intermédiaires déplorent les maltraitances et dénoncent les lourdes tâches que leurs patrons leur imposent. Ibrahima Samaké est l’un de ces hommes. Il a hérité ce métier de son père. « J’ai sous ma responsabilité des élèves et des femmes. Tous nos problèmes, ce sont les patrons qui doivent faire preuve de compréhension et savoir que ces dames viennent d’autres familles ; ils doivent les considérer comme leurs propres enfants », martèle-t-il. Avant de poursuivre : « tout ce qu’on souhaite, c’est qu’ils respectent ces dames parce qu’elles subissent des fois des maltraitances », s’indigne M. Samaké.
Kémo Cissé