TENSIONS POLITIQUES: Macky, Sonko et la racine du mal

 

Le Président Macky Sall est incapable de souffrir toute opposition à son régime et ne s’en est jamais caché. Sa surprenante déclaration en marge d’un conseil des ministres décentralisé à Kaffrine en fait foi et résonne encore dans nos oreilles. « Je vais réduire l’opposition à sa plus simple expression », avait-il martelé. Sans ambages et sans sourciller.

Puis, il a joint l’acte à la parole. Et c’est ce qui nous vaut, hélas, cette tension politique quasi permanente qui aura émaillé son magistère en dehors de courtes périodes de répit. Et ce, à chaque fois qu’il a senti qu’il était dans son propre intérêt de mettre la pédale douce pour prendre langue avec son opposition.

Ce fut le cas lorsqu’il s’est agi de trouver un prétexte commode pour élargir Karim Wade après trois ans et demi d’emprisonnement pour enrichissement illicite. Il en fera de même avec Khalifa Sall après un séjour carcéral d’environ trois ans pour sa gestion jugée délictueuse de la caisse d’avance de la Mairie de Dakar.

Ce fut dans la foulée des fameuses retrouvailles de Massalikoul Djinane qui avaient laissé entrevoir une normalisation de ses relations avec son prédécesseur et patron du PDS, Maître Abdoulaye Wade. Il n’en sera finalement rien, quoique ce dernier était disposé à passer l’éponge sur l’emprisonnement de son fils pour pactiser avec son successeur.

C’est aussi à la faveur d’un ersatz de dialogue que la voie a été balisée à Idrissa Seck (Rewmi) et Issa Sall (PUR) pour rejoindre le camp présidentiel.

Même stratagème pour créer les conditions du large consensus qui a permis le report des Elections locales, initialement prévues en 2019 et qui n’auront finalement lieu qu’en janvier 2022. Idem lorsqu’il a fallu amener les députés de la majorité comme de l’opposition à voter à l’unanimité une loi d’habilitation permettant au Président Macky Sall de gouverner par ordonnances dès l’apparition de la pandémie de Covid 19.

 

« C’est faire un mauvais procès à Sonko que de lui imputer la tension sur la scène politique »

 

Ainsi donc fonctionne le régime de Macky Sall : le dégel dans ses rapports avec l’opposition quand ça l’arrange et la posture de va-t-en-guerre, une fois ses objectifs politiciens atteints. En somme, l’accalmie, c’est l’exception et la tension, la règle.

Mais le pire est qu’à chaque fois que le camp présidentiel sonne la charge contre un adversaire jugé dangereux, la justice vient en renfort et sert de bras armé.

Avouons-le, jamais la judiciarisation du combat politique n’a été aussi évidente que sous le règne de Macky Sall. Karim Wade, seul membre de l’ancien régime jugé et condamné par la CREI sur une liste de 25 dignitaires poursuivis pour enrichissement supposé « illicite » et Khalifa Sall, ancien maire de Dakar et candidat déclaré à la présidentielle 2019, l’ont appris à leurs dépens.

A présent, c’est l’ambition présidentielle d’Ousmane Sonko qui pourrait être brisée par le glaive de la justice avec une condamnation qui lui pend au nez dans ses procès contre Mame Mbaye Niang et contre l’ancienne masseuse, Adji Sarr.  Sauf que pour ne pas connaître le même sort que Karim Wade et Khalifa Sall et ne pas se voir frappé d’inéligibilité, le leader de Pastef entend vendre chèrement sa peau. Et quoi de plus normal ?

C’est en tout cas lui faire un mauvais procès que de lui imputer le climat de tension qui prévaut sur la scène politique.

C’est surtout oublier que son parti date de 2014, suite à sa radiation de la fonction publique et qu’il a eu à étendre tranquillement ses tentacules pendant deux bonnes années avant d’être la révélation de la présidentielle 2019 avec 15% des suffrages pour une toute première participation.

A l’époque, il n’ y avait pas eu le moindre accroc avec le camp présidentiel simplement parce qu’il n’avait pas été identifié comme le danger principal. C’est plutôt Idrissa Seck qui était la cible privilégiée de Benno Bokk Yaakaar tandis que Pastef, sans tambour ni trompette et, surtout, sans le moindre incident imputable à ses membres, faisait tranquillement son trou.

Seulement voilà : le scrutin de 2019 bouclé, Idrissa Seck classé 2ième avec environ 20% des suffrages et Issa Sall arrivé en 4ième position, rejoignent avec armes et bagages la majorité présidentielle. Tandis que Madické Niang, arrivé au 5ième rang, annonce purement et simplement son retrait de la scène.

Voilà comment Ousmane Sonko, seul adversaire parmi les quatre qui s’étaient frottés à Macky Sall à avoir choisi de rester dans l’opposition, se retrouva aussitôt dans la ligne de mire du Président et de ses snippers.

Il était désormais le seul danger identifié et donc l’homme à abattre. Et tout porte à croire que le procès en diffamation avec Mame Mbaye Niang et celui pour viol contre la masseuse Adji Sarr sont les munitions pour y parvenir.

 

« Il suffit que le Président tempère l’ardeur de ses troupes pour faire baisser la tension »

 

Pourtant, Ousmane Sonko ne part pas à la conquête du pouvoir les armes à la main. Il y va en tant que chef de parti, porteur d’un projet de société qu’il cherche à faire épouser à un maximum de Sénégalais.

Il suffit donc qu’on lui accepte le libre exercice de ce droit inaliénable en démocratie pour que toutes les manifestations de Pastef se déroulent le plus tranquillement du monde. Comme il l’a déjà fait entre 2017 et 2019. Et comme le font les Khalifa Sall, Malick Gakou, Déthié Fall, Abdourahmane Diouf et autres Thierno Alassane Sall, tous candidats déclarés pour 2024, sans que personne ne leur mène la vie dure. En tout cas, pas autant qu’on le fait au candidat de Pastef.

Certes, Ousmane Sonko n’est pas irréprochable pour son imprudence dans l’affaire Sweet Beauty (un endroit infréquentable pour un présidentiable de sa trempe et le risque encouru pour être l’homme à abattre pour l’actuel régime), encore moins pour certaines de ses déclarations (théorie du testament) et prises de position (gatsa gatsa), mais l’on comprend en revanche sa théorie de la résistance.

Qu’on lui f….la paix et l’on verra bien qu’il n’est pas le semeur attitré des germes de la violence, comme on veut nous le faire croire !

Hélas, ses deux procès aux relents politiques, la perspective d’une troisième candidature de Macky Sall et sa propension à écraser son opposition, sont assurément les ingrédients d’un cocktail explosif. Et il suffit de peu pour mettre le feu aux poudres. Tout comme il suffit que le Président tempère l’ardeur de ses troupes pour faire baisser la tension.

Pour ce faire, Macky Sall doit se départir de sa posture trop partisane pour prendre de la hauteur afin de préserver la stabilité du pays dont il est le seul garant.

Abdourahmane Diouf, le Président de « Awalé », ne savait pas si bien dire en l’invitant à « dilater sa poitrine ». Comme l’a aussi bien enseigné Victor Hugo. « Qui ne sait pas dissimuler, disait-il, ne sait pas régner ».

Or, Macky Sall a justement de la peine à dissimuler son allergie, son hostilité et son aversion envers toute opposition à son régime. Et c’est tout le problème. C’est là que gît le mal.

C’est connu, pour soigner un mal, il faut d’abord savoir l’identifier. Que nos guides religieux, les acteurs de la société civile et tous ceux qui oeuvrent pour la paix sachent d’abord à qui parler en premier pour espérer apaiser le climat politique.

 

Momar DIONGUE   

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