SPORT: Quand l’Arabie saoudite bouleverse la planète football

C’est une destination pas franchement connue pour son football. L’Arabie saoudite, acteur mineur du monde du ballon rond, développe ces derniers mois une certaine passion pour le sport. La star portugaise, Cristiano Ronaldo, a été la première à s’y attaquer, en signant en janvier dernier à Al-Nassr. En ce mois de juin, nouvelles surprises : le Ballon d’Or Karim Benzema, qui vivait pourtant ses meilleures années avec le Real Madrid, s’est engagé du côté d’Al-Ittihad, et est  suivi par N’Golo Kanté, Edouard Mendy, Khalidou Koulibaly et Hakim Ziyech.

Pourquoi ce pays du Golfe mise-t-il massivement sur le football ? Quelle est sa stratégie ? Qu’attend-il de ces superstars ?

Cela va bien au-delà. L’objectif est de rendre le pays attractif, de faire venir des touristes, mais c’est aussi un instrument diplomatique, géostratégique et économique. En devenant un pays d’accueil des plus grandes stars, l’Arabie saoudite cherche à devenir plus respectable, à attirer d’autres investisseurs, à discuter avec d’autres acteurs politiques…

En achetant ces joueurs, l’Arabie saoudite s’achète une respectabilité : le pays entend modifier la perception des populations, notamment occidentales. Les aspects moraux, comme le non-respect des droits humains, des femmes ou des homosexuels, restent pour le moment inchangés en Arabie saoudite. Mais le projecteur est décalé et se tourne davantage vers le sport, vecteur de valeurs comme la fraternité ou l’amitié entre les peuples.

Et tout cela financé directement par le Royaume…

La décision est prise au sommet de l’État saoudien. Il y a de nombreux intermédiaires qu’il faut convaincre. Néanmoins, au regard de la débauche de moyens de l’Arabie saoudite dans le sport ces dernières semaines, j’ai la sensation que la plupart des acteurs locaux sont convaincus du projet.

L’Arabie saoudite veut se préparer au moyen terme, voire au long terme. Le football est le sport le plus populaire de la planète, et les pays du Golfe cherchent à penser l’après-gaz et l’après-pétrole. Si les Saoudiens ne réussissent pas à organiser la Coupe du monde 2030, alors ils réitèreront sans doute en 2034, puis en 2038… jusqu’à l’obtenir. En attirant ces grands joueurs dans leur championnat, ils préparent aussi la société saoudienne à adopter une culture footballistique, pour créer des générations de footballeurs compétents.

Cette stratégie est-elle différente de celle portée par son voisin qatari, qui a investi au PSG puis organisé le Mondial en 2022 ?

Les deux États ont une double stratégie interne et externe : investir dans des clubs étrangers (l’Arabie saoudite a racheté le club anglais de Newcastle, ndlr), et se créer une structure footballistique compétente à l’échelle nationale. Le Qatar dispose ainsi d’une pépinière à footballeurs de haut niveau, afin de former les jeunes, et leurs infrastructures sont tellement modernes que des athlètes professionnels européens viennent s’y entraîner et se ressourcer. Plutôt que de déplacer leur influence à l’étranger, ces États arrivent désormais à attirer en leur centre les investisseurs et les athlètes.

Ces sportifs ne sont d’ailleurs pas franchement sur la pente descendante : Karim Benzema comme Cristiano Ronaldo pouvaient encore espérer disputer la Ligue des champions en Europe. Qu’ont-ils à gagner à partir en Arabie saoudite, outre l’aspect financier ?

En achetant toutes ces stars, l’Arabie saoudite offre une crédibilité à son championnat. Les joueurs peuvent potentiellement y voir un intérêt sportif. Les futures recrues vont pouvoir jouer avec ou contre Cristiano Ronaldo, avec ou contre Karim Benzema, avec ou contre N’Golo Kanté… Cela peut provoquer un effet boule de neige. Il ne faut évidemment pas minimiser l’aspect financier, qui prime naturellement par rapport aux salaires européens. Mais les investissements saoudiens ne sont pas si élevés par rapport à la crédibilité qu’ils s’achètent.

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