SENEGAL: Sans État, tous les fauves sont dehors.
La violence appelle la violence. L’histoire des individus comme celle des peuples nous a toujours montré que la violence n’est pas une solution durable. Pour vivre ensemble, on finit inévitablement par s’asseoir autour d’une table. Je suis de ceux qui pensent à tort ou à raison que la violence n’est pas du tout la solution à nos problèmes. Cette folie furieuse qui est en train de s’installer au Sénégal va nous amener incontestablement en arrière pour plusieurs décennies.
Aujourd’hui, je ne reconnais plus ni le Sénégal ni les Sénégalais. Ils sont des milliers qui demeurent persuadés que la violence est la solution. Que s’il est nécessaire que nous mourions tous alors, qu’on meure tous, mais le Sénégal doit changer. Comment en est-on arrivé là ? Pourquoi les gens sont-ils si résolus à passer sur les cadavres de leurs propres frères pour changer l’ordre des choses au pays de la Téranga ? Ce qui est encore plus étonnant et plus incompréhensible pour moi, c’est d’entendre pas mal d’intellectuels, des gens instruits et lucides, nous sortir des arguments et des analyses qui prônent la violence à tout-va et principalement le chaos pour en finir avec le régime en place. Des réflexions que je ne comprends pas, que ma foi et mon amour pour mon pays ne sauraient cautionner, peu importe l’urgence de l’heure ou la profondeur du désarroi des uns et des autres.
Est-ce que c’est la haine qui aveugle les va-t’en guerre ? Est-ce que c’est parce que ces fils du pays n’aiment pas le Sénégal ? Ou bien sont-ils devenus juste fous ? Nous n’avons pas de réponse à nos questions. Néanmoins, il y a quelque chose d’énigmatique et de complètement hérétique dans la posture de ceux qui appellent à la violence. À force de vouloir comprendre la colère et la haine de certains de nos concitoyens, je me surprends parfois à marmonner : « ou bien ils ne sont pas normaux ou bien c’est moi qui ne comprends rien de ce qui se passe dans ce pays ! ». Issu d’une école antidogmatique, ancrée principalement dans la nuance et le relativisme, j’ai tendance à écouter tout le monde, y compris les nervis de la pensée sanglante en vue d’être le plus proche possible de la Vérité. Toutefois, ma seule certitude envers et contre tous demeure que je ne crois pas aux vertus de la violence ni à ses bienfaits. Je reste persuadé que tout ce que la violence nous apportera, elle détruira cent fois plus à côté. C’est mon intime conviction.
En trois jours d’émeutes, force est de reconnaître que l’État du Sénégal a été presque mis à terre. Au profit de qui et de quoi ? Voilà une question fondamentale qui aurait mérité qu’on s’y attarde un peu dans une république normale. Au demeurant, nous devons aussi admettre que Macky Sall et son régime ont totalement tort au regard du traitement réservé à Ousmane Sonko. On est presque dans le banditisme d’État. Toutefois, je suis de ceux qui pourraient apporter la preuve par quatre que le peuple avait d’autres moyens plus persuasifs et moins dommageables à la Nation pour amener l’État à reculer dans le dossier opposant Adji Sarr et Ousmane Sonko. Évidemment, la violence est parfois l’expression de la facilité, elle soulage, mais ne libère pas. Ceux qui l’enfourchent n’ont de point de mire que l’horizon immédiat. Leur désir du présent les empêche de comprendre que ceux qui prônent la paix ne sont pas des faibles, mais plutôt des sages qui sont conscients que là où dorment les fauves, le bon sens devrait être de s’empresser de s’éloigner à pas feutrés plutôt que de bomber le torse si l’on a uniquement pour protection que des prières.
Le monde humain est une jungle et l’État de droit un rempart. Quiconque détruit l’État se détruit lui-même. En vérité, beaucoup de Sénégalais incapables de voir au-delà de leur propre désir semblent ignorer que sans État, Ousmane Sonko est plus en danger que jamais. Que sans un État fort, eux-mêmes ils sont morts : ils ne dormiront en paix qu’au cimetière. Voilà la Vérité. Le chaos est la porte ouverte à toutes les dérives et à l’impensable même. Le peu de temps où l’État de droit s’est affaissé, n’a-t-on pas vu ou entendu des choses qu’on pouvait imaginer partout au monde sauf au Sénégal ? Des scènes de fusillade dignes des films hollywoodiens. Des viols collectifs en plein jour. Des saccages aveugles et ignobles. Des individus gratuitement assassinés ou accidentellement tués. Des forces de l’ordre, traqueuses par essence, traquées comme des rats. Et tout ceci n’est que la partie visible de l’Icerberg. D’ailleurs, ne soyons pas surpris si demain on nous relève que des Sénégalais aient été enterrés vivants dans des fosses communes ou jetés à la mer pour masquer des crimes. Le modus operandi est partout le même quand la folie s’accapare de tout un peuple.
Ceux qui s’adonnent à la violence ou l’encouragent risquent d’en faire eux-mêmes les frais ou bien leurs proches : on ne récolte que ce que l’on sème. Signalons ici une dérive sur les réseaux sociaux, qui me heurte et à laquelle les autorités étatiques semblent n’accorder aucune importance, peut-être par impuissance. Il s’agit des appels aux meurtres à peine déguisés que se permettent certains internautes à l’intérieur comme à l’extérieur du pays. Des irresponsables mal intentionnés qui postent sur internet des photos de gens et parfois avec même leurs adresses pour dire que ce sont des nervis. Cette pratique lâche, si elle n’est pas arrêtée rapidement, verra de pauvres innocents mourir par le biais de la manipulation. Il suffit de détester une personne pour une raison ou une autre et l’envoyer ainsi à la vindicte populaire ou à la chasse à l’ennemi. Les organisations des droits de l’Homme devraient non seulement s’indigner avec véhémence, mais surtout dénoncer avec la dernière énergie ce phénomène.
Sénégalais, Sénégalaises, c’est le temps de revenir à la raison avant qu’il ne soit trop tard. Là où l’État n’est pas, les fauves y règnent en maîtres. La folie nous a simplement caressés en trois jours d’émeutes, le jour où elle prendra entièrement possession de notre peuple, vous comprendrez trop tard que rien n’est trop chèrement payé pour préserver la Paix…
Mais surtout, que personne ne vienne sur la place publique se plaindre des difficultés économiques du pays plus tard. Et dans tout ça, la principale personne qui sera davantage à plaindre sera sans aucun doute celle qui remplacera Macky Sall à la tête du Sénégal. Peu importe son nom, notre futur Président devra s’attendre à être le plus impopulaire de tous les Présidents de l’histoire de la République sénégalaise, car la pente qu’il devra gravir pour nous nourrir et servir un peuple qui n’a pas de mémoire sera des plus pénibles.
Mamadou Bamba Tall,
Ancien étudiant de l’Université Gaston Berger, Sanar 1.
Ancien boursier de la Fondation Ford (Université Laval),
Consultant international en éducation, Montréal, Canada
Conseiller au ministère de l’éducation du Québec (MEQ)