PROFESSION PROCUREURS Jouent-ils leur crédibilité ?

Il ne fait pas bon d’être procureur
de la République par les temps
qui courent. Appelés à se
prononcer publiquement sur des
affaires de meurtres à fort
retentissement médiatique, leurs
déclarations suscitent la
controverse, la circonspection et
le scepticisme chez nombre de
Sénégalais. Censés être les
avocats de la société, beaucoup
les soupçonnent en revanche de
rouler pour l’autorité politique.
Leur crédibilité peut-elle en
pâtir ?
Le double meurtre d’Idrissa
Goudiaby et d’Alexis Diatta, tués
respectivement à Ziguinchor et à
Bignona lors des manifestations du

17 juin dernier et la mort de
François Mancabou en garde à vue
dans l’affaire dite de la « Force
Spéciale », ont la particularité
d’alimenter à nouveau la suspicion
sur l’indépendance de notre
système judiciaire. De même qu’ils
mettent à rude épreuve la crédibilité
de la version des faits qui a été
servie respectivement par le
procureur de la République de
Ziguinchor et celui du tribunal de
grande instance de Dakar sur ces
deux affaires.
L’affaire Idrissa Goudiaby, du nom
de ce jeune manifestant tué à
Ziguinchor, a connu hier un
rebondissement qui contredit
totalement la première version
servie par le procureur sur les

causes de sa mort. Pour rappel, ce
dernier avait publié un communiqué
rendant compte de "L'expertise
médico – légale réalisée le 19 juin
2022. Laquelle expertise avait
conclu, selon le Procureur, à « une
mort violente par choc
hémorragique suite à une plaie
pénétrante du cou causée par une
arme blanche contondante ». Selon
le communiqué du Procureur, le
médecin-légiste s’était même
montré très précis en indiquant très
clairement que l’arme du crime était
soit une « hache » ou un « sabre ».
Or donc, cette première hypothèse
vient d’être totalement contredite
par une contre-autopsie réalisée, sur
demande du procureur de
Ziguinchor, par trois experts désignés
par l’Ordre des médecins, à savoir un

professeur de médecine, un légiste et
un expert choisi par la famille de la
victime. Lesquels en ont conclu que
« les lésions présentées par Idrissa
Goudiaby sont compatibles avec une
mort violente par arme à feu avec
orifice d’entrée endo-buccal
commissural droite et orifice de sortie
massétéro-parotidien droit
responsable d’un choc hémorragique
et du décès». Une thèse qui vient
conforter la famille de la victime qui
n’a jamais cru à la seule version
officielle qui leur était servie jusque-
là.
Les Sénégalais ont-ils encore
confiance en leur justice ?
Il faut dire à la décharge du procureur
de Ziguinchor qu’il n’est pas habilité à

lui-même l’autopsie et qu’il s’était
simplement contenté de rendre
compte des conclusions du premier
médecin-légiste. Mieux, il ne s’est pas
opposé non plus à la contre-expertise
demandée par la famille d’Idrissa
Goudiaby. Mais à supposer que ce
soit le premier expert qui s’était
totalement planté sur ses conclusions
au point de l’induire en erreur, la
tournure des évènements fragilise
tout de même la parole du procureur
de Ziguinchor et jette le discrédit sur
l’institution judiciaire. On attend en
effet de la parole d’un procureur
qu’elle conforte la confiance des
justiciables en leur système judiciaire
et non qu’elle sème le doute dans les
esprits. Or, c’est manifestement le cas
dans ce dossier Idrissa Goudiaby à

propos duquel, beaucoup
soupçonnent à tort ou à raison le
procureur de Ziguinchor d’avoir voulu
blanchir les forces de l’ordre dès lors
que la thèse de la mort par balle avait
été très vite écartée. C’est en tout cas
la conviction de l’inter-coalition Yewwi-
Wallù qui a organisé une conférence
de presse hier à Ziguinchor, une fois le
résultat de la contre-expertise publié.
Et ce, pour indiquer que « les résultats
confirment la rupture du lien de
confiance entre les Sénégalais et la
justice ». Guy Marius Sagna et Cie
soutiennent en effet qu’«au Sénégal,
les agissements des membres du
Parquet couvrent des meurtres, des
assassinats, des actes de torture, des
crimes économiques…» Aussi,
comptent-ils saisir l’Ordre des médecins
« pour savoir comment un médecin, donc
un agent assermenté, a pu sortir une si

grave erreur ou un si gros mensonge
prétendant qu’Idrissa Goudiaby aurait été
tué par un objet contondant et non par
une balle issue d’une armée à feu ». Et de
s’interroger : « Est-ce par contrainte,
menace ou corruption ?», faisant
sûrement allusion à une influence que ce
médecin légiste aurait pu subir. De la part
de qui ? Guy Marius Sagna et compagnie
se gardent d’indexer le procureur de
Ziguinchor, mais exigent tout de même de
lui « qu’il publie les résultats de l’autopsie
pratiquée sur Alexis Abdoulaye Diatta
assassiné le 17 juin dernier à Bignona. Le
dilatoire et la torture psychologique pour
pousser la famille à enterrer Alexis
Abdoulaye Diatta sans autopsie ni contre-
expertise n’ont que trop duré ». Et pour
enfoncer le clou, ils ne demandent ni plus
ni moins que « le départ du Procureur de
Ziguinchor Ismaila Diallo » car,
soutiennent-ils clairement « nous n’avons

plus aucune confiance en lui ». Gageons
que pour ces deux meurtres à
Ziguinchor et Bignona, le procureur
ne cherche nullement à couvrir
d’éventuelles bavures policières et
que, sur l’affaire Idrissa Goudiaby, il a
dû simplement être induit en erreur
par le premier médecin légiste. Sans
quoi, il ne restera rien de la confiance
que les Sénégalais doivent avoir vis-
à-vis de leur système judiciaire.

Quand Moustapha Diakhaté parlait
pour tous
Le moins qu’on puisse dire est que le
procureur de Ziguinchor n’a pas rassuré
Guy Marius Sagna et la famille d’Idrissa
Goudiaby. Pas plus que son collègue du
tribunal de grande instance de Dakar n’a
rassuré l’ancien président du groupe

parlementaire de la majorité, Moustapha
Diakhaté. Pour rappel, lors d’un récent
point de presse sur l’affaire François
Mancabou mort en garde à vue, le
procureur de la République avait affirmé
que ce dernier était décédé « des suites
de blessures qu’il s’est infligées en
cognant la grille de sa cellule lors de sa
garde à vue au commissariat central de
Dakar ». Le chef du parquet avait aussi
ajouté qu’une vidéo de 13 minutes
étayait sa version des faits.
Une thèse qui n’avait guère convaincu
l’ancien député qui l’a d’ailleurs fait
savoir dans un texte qu’il avait rendu
public dans la foulée de la déclaration
du procureur. Moustapha Diakhaté
d’écrire : « Non, Monsieur le procureur
de la République, vous ne m’avez pas
rassuré sur la mort de François
Mancabou (…) vous ne m’avez pas

convaincu lorsque que vous insinuez
que Monsieur Mancabou s’est suicidé
(…) les policiers et gendarmes ont
l’obligation d’assurer l’entière sécurité
des personnes placées en garde à vue
dans les commissariats et brigades (…)
Il faut qu’elles fassent, s’il le faut, deux
autopsies avec des médecins qualifiés
car c’est seulement en ce moment que
la famille de la victime et l’opinion
publique sauront exactement les
raisons de la mort de Monsieur
Mancabou ».
Ces interrogations, très légitimes, sont
sans doute partagées par nombre de
Sénégalais. D’autant qu’il ressort de
l’audition des neuf autres membres
supposés de la «Force spéciale», arrêtés
en même temps que François
Mancabou, que la victime n’aurait cogné
les grilles qu’à une seule reprise et
n’aurait pas donc multiplié son geste

comme on a pu le comprendre à travers
la version servie par le procureur.
En voilà donc une autre affaire qui
écorne quelque peu la confiance que
nous devons à notre justice et à ses
procureurs. Et que dire de la
surprenante passivité du parquet quand
Amath Suzanne Kamara, membre de
l’APR, appela récemment à « tuer »
l'opposant Ousmane Sonko. « Moi,
Amath Suzanne Camara, disait-il, je ne
me cache pas. Je dis que tant que
Ousmane Sonko sera en vie, il n'y aura
pas de paix au Sénégal. Ousmane
Sonko, c'est quelqu'un qu'il faut tuer.
Quelqu'un comme lui, on doit tout
simplement le tuer ». Hélas, le parquet
n’avait pas bronché.
L’on a aussi souvenance du ton de la
dérision utilisé en son temps par
l’ancien procureur de la République
pour lancer un appel à témoin dans

l’affaire Pétrotim impliquant le frère du
Président, Aliou Sall. « Tous ces experts,
analystes et grands connaisseurs du pétrole
et du gaz qui s’agitent sur les plateaux de
télévision et à travers les réseaux sociaux
ont ainsi une occasion de diriger leurs
efforts vers la Division des investigations
criminelles (DIC) pour, à cet effet, parler
de façon officielle sur la question et
éclairer la lanterne des Sénégalais », avait
alors tancé Serigne Bassirou Guèye. Un
ton moqueur qui en disait long sur son parti
pris dans cette affaire.
Décidément, le parquet a encore beaucoup
à faire pour ne pas perdre définitivement la
confiance des Sénégalais.
Momar DIONGUE

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