Permis de tuer !
USAGE DISPROPORTIONNE DE LA FORCE POUR LE MAINTIEN DE l’ORDRE
Alors que les principaux leaders étaient très tôt assignés à résidence et que la manifestation de ce 17 juin était globalement maîtrisée, il y a eu au final trois morts. Inadmissible de la part de forces de l’ordre dont on a souvent vanté le professionnalisme.
Mais comment peut-on donc féliciter les forces de l’ordre après une manifestation qu’elles ont globalement contrôlée et qui s’est ponctuée, malgré tout, par un bilan macabre de trois morts ? Un bilan d’autant plus sinistre que le décompte des victimes fait aussi état de plusieurs blessés dont certains grièvement. C’est à croire que dans ce pays, beaucoup ont perdu la tête. A moins que ce soit le pays qui marche par la tête.
Toujours est-il que cette propension à tresser des lauriers à nos policiers et gendarmes après cette journée noire traduit au moins trois choses. Beaucoup mettent tellement en avant les considérations partisanes qu’ils en ont perdu tout esprit critique. Nombreux sont aussi ceux qui ont perdu leur capacité d’indignation. Enfin, jamais la mort n’a été autant banalisée. Et qu’importe si elle survient à la suite de bavures ou de brutalités policières. C’est presque anecdotique.
Pourtant, trois jeunes ont perdu la vie en une seule journée du fait d’un usage disproportionné de la force par nos policiers et gendarmes pour réprimer une manifestation qui, il est vrai, n’a pas été autorisée. Ils s’ajoutent aux 14 autres tombés sous les balles de nos forces de l’ordre en mars 2021 et pratiquement dans les mêmes conditions.
Au total, pas moins de 17 pertes en vie humaine ont été enregistrées en un peu plus d’une année. Et plus grave, parmi ces victimes, certaines n’ont rien à voir avec les manifestations interdites et ne sont hélas que des victimes collatérales.
A qui la faute ? D’aucuns ont le réflexe, plutôt commode, de renvoyer dos à dos le pouvoir et l’opposition. D’autres, parlant sous le prisme partisan, en imputent la responsabilité à l’inter-coalition Yewwi-Wallu pour avoir bravé l’arrêté préfectoral interdisant la manifestation de ce 17 juin. Mais cet argument ne résiste point à l’analyse. Car, à sa décharge, la même inter-coalition a drainé des milliers de personnes à son rassemblement autorisé du 8 juin dernier sans qu’il n’y ait le moindre grabuge. Au contraire, après avoir inondé la manifestation du drapeau national, ils ont tenu à laisser la Place de la Nation très propre en la débarrassant de toutes ses ordures à la fin de leur rassemblement. Un geste de haute portée civique qu’on ne peut que saluer. Il s’y ajoute que les principaux leaders ont été très tôt assignés à résidence vendredi dernier et que la manifestation a été vite tuée dans l’œuf si bien qu’il est inconcevable qu’il ait pu y avoir trois morts à la fin de la journée.
En vérité, la responsabilité revient à ceux qui n’ont pas voulu voir l’opposition rééditer sa grande mobilisation du 8 juin et qui ont donc interdit le rassemblement de ce vendredi 17 juin sous le fallacieux prétexte de l’article 61 relatif à la propagande en période de précampagne et qui ne vise que les médias. Et non pas les activités politiques qui peuvent se dérouler normalement à condition de ne pas verser dans la propagande. La responsabilité incombe surtout à ceux-là qui ont cru devoir déployer des effectifs et un arsenal de répression impressionnants juste pour le maintien de l’ordre. Autant dire un usage disproportionné de la force. Si ce n’est un permis de tuer.
Nos policiers et gendarmes ont-ils fait usage de balles réelles ? On n’en a pas la preuve pour l’affirmer, mais le doute est permis. « L’usage de balles réelles est rigoureusement encadré par la réglementation. On n’y a recours que dans des conditions très précises et pas à tout bout de champ comme ça semble hélas être le cas depuis quelque temps », souffle un commissaire de police à la retraite.
Faut-il en déduire que la vie de ceux qui désapprouvent la gouvernance de Macky Sall et qui l’expriment, n’a aucune valeur et qu’on peut le leur ôter sans que ça ne tire à conséquence ? On peut le croire pour avoir déjà entendu un député de la majorité appeler ses partisans à se munir de coupe-coupe pour trancher la tête de ceux qui oseront s’opposer à un troisième mandat pour Macky Sall. Au finish, il ne lui est rien arrivé pour des propos aussi graves. On a encore entendu très récemment un membre du réseau des enseignants de l’Apr appeler à « tuer » le leader de Pastef Ousmane Sonko sans qu’aucune juridiction ne bronche.
Il ne faut donc pas s’étonner que les forces de l’ordre fassent de plus en plus usage d’un arsenal très répressif et causent des pertes en vie humaine pour de simples opérations de maintien de l’ordre. En tout cas, le bilan de l’actuel régime en la matière est déjà très lourd : 17 personnes tuées entre mars 2021 et juin 2022. C’est bien plus que le décompte de manifestants tombés sous les balles des policiers et gendarmes durant les dix-neuf années passées par Abdou Diouf à la tête du pays. C’est aussi davantage que les 13 morts enregistrés par le régime de Wade lors des manifestations de 2011 contre le 3ième mandat.
Macky Sall détient donc ce triste record. Ce que personne ne peut comprendre après seulement dix ans de règne. Prions pour que la raison revienne et que s’estompe ce décompte si macabre !
Momar DIONGUE