CLIMAT POLITIQUE La saison des faucons
Ils tiennent le haut du pavé. Ils éclipsent et réduisent tout le monde au silence. On ne voit et n’entend qu’eux. Ils ont rendu inaudibles les religieux et impuissante la société civile, tandis que l’administration et le juge constitutionnel semblent disqualifiés. Présents dans les deux camps qui se font face, les faucons sont trop bavards et déchaînés. Mais pourra-t-on vraiment les arrêter avant qu’il ne soit trop tard ?
Leur a-t-on trop laissé le terrain ? Sont-ils les produits d’une classe politique de plus en plus faible et pauvre en idées ? Sont-ils à l’image du magistère mouvementé, heurté et très conflictuel de Macky Sall ? Ou sont-ils l’émanation d’une société sénégalaise de plus en plus violente ?
En tout cas, jamais le discours politique n’a été aussi pauvre, violent, voire haineux. Et le Président Macky Sall en est le premier responsable. Lui qui n’a eu de cesse de martyriser et d’écraser son opposition.
Joignant l’acte à la parole, il a entrepris de la « réduire à sa plus simple expression ». Profitant de leurs démêlés avec la justice, il exclut du jeu politique Karim Wade et Khalifa Sall, perçus jusqu’alors comme ses deux principaux rivaux. Et pour donner une caution légale à ce qui était manifestement une entreprise de liquidation politique, il a fait modifier la loi électorale, rendant inéligible – et pour une durée indéterminée – toute personne condamnée à cinq ans de prison, comme ce fut exactement le cas de Karim Wade et de Khalifa Sall. A leur tour, Ousmane Sonko et Barthélémy Dias, actuellement ses deux opposants les plus en vue, pourraient connaître le même sort.
Le système de parrainage, institué de manière unilatérale et maintenu malgré la demande de suppression formulée par la Cour de justice de la CEDEAO, ainsi que le zèle de « son » administration et du Conseil constitutionnel à invalider les listes de l’opposition, participent de la même logique d’exclusion.
Ce faisant, Macky Sall n’offre à ses opposants qu’une seule et unique voie de salut : la résistance. D’où le discours musclé et la posture belliqueuse de ses adversaires qui entraine la réaction tout aussi musclée et le réflexe va-t-en-guerre de ses propres partisans.
Tel est le décor si propice aux faucons mobilisés de part et d’autre et déterminés à en découdre. Et la confrontation paraît d’autant plus inévitable que ni les religieux, ni la société civile, encore moins l’administration et le Conseil constitutionnel ne semblent pouvoir éteindre le feu qui couve.
Les religieux inaudibles
Ils ont beau appeler à la retenue et alerter contre le danger qui plane, les religieux prêchent dans le vide. Les khalifes généraux ont appelé à de si nombreuses reprises les uns et les autres à la raison qu’ils ont fini par se taire, au risque de voir leur prise de parole banalisée. Le sentiment de découragement et d’impuissance a aussi gagné les plus jeunes dont la médiation aurait pu déboucher sur un climat plus apaisé.
Président du Cadre Unitaire de l’Islam au Sénégal (Cudis), Cheikh Ahmed Tidiane Sy dit avoir constaté, comme tout le monde, la montée des périls, mais que lui, tout comme son association, préfèrent rester pour l’instant dans « l’expectative » et attendent de voir jusqu’où va mener le rapport de force engagé entre le pouvoir et l’opposition réunie au sein de Yewwi Askan Wi.
Quant à Monseigneur Benjamin Ndiaye, son interpellation à l’endroit du ministre de l’Intérieur Antoine Diom, le 6 juin dernier, traduit toute son exaspération face à l’impasse dans laquelle les acteurs politiques ont fini de plonger le pays. « Pourquoi est-il devenu si difficile de confectionner des listes électorales ? Je me demande même s’il ne faudrait pas aller vers un renforcement de capacité de nos hommes politiques », s’est interrogé Monseigneur Benjamin Ndiaye lors de la cérémonie officielle de la 134ième édition du pèlerinage marial de Popenguine. Plus qu’un questionnement et une interpellation, son propos est plutôt un signe de sidération face à une classe politique peu ingénieuse, mais très belliqueuse.
Une société civile impuissante
Ce n’est pas que la classe religieuse qui semble dépassée par la situation ; les acteurs de la société civile le sont tout autant. Et ce, depuis qu’ils ont été pris pour cible par le leader de Pastef Ousmane Sonko. Doutant de la neutralité de la société civile, la tête de liste nationale de Yewwi Askan Wi a récemment accusé ses membres d’être « à la solde de Macky Sall ». Une attaque au vitriol qui a vite fait réagir le Cosce, la branche de la société civile chargée du suivi du processus électoral.
Dans un communiqué publié à cet effet, ils ont cru devoir rappeler que «la Société civile est à équidistance de toutes les parties prenantes et ne peut être instrumentalisée ni discréditée auprès de l’opinion publique».
Et de poursuivre : «notre posture de Société civile responsable nous a toujours permis de trouver des solutions les plus inclusives pour une participation démocratique de tous les acteurs politiques. Qu’ils soient de l’opposition comme du pouvoir, avec comme objectif principal, l’expression du suffrage universel, garant de la cohésion nationale ». Avant d’affirmer, afin que n’en ignore, que leur indépendance n’est « point négociable ».
Toujours est-il que les propos de Sonko qu’ils ont fermement condamnés semblent avoir complètement altéré leur ardeur à s’interférer entre les deux camps pour offrir leur médiation. Laissant ainsi le champ libre aux faucons de tous bords que rien ne semble pouvoir arrêter.
L’administration et le juge constitutionnel disqualifiés ?
L’horizon est d’autant plus sombre qu’en plus de l’expectative des religieux et l’impuissance de la société civile, l’administration et le Conseil constitutionnel, censés être les remparts de la démocratie, se sont littéralement effondrés. Du moins, aux yeux de l’opposition la plus représentative qui les a complètement disqualifiés au regard des dernières décisions qui ont été rendues concernant le processus électoral. En effet, jamais ces deux structures n’ont été autant vilipendées que ces derniers temps. C’est à se demander même si elles n’ont pas perdu définitivement tout crédit auprès d’une bonne franche de la classe politique et de l’opinion publique. D’autant que la dernière décision du gouverneur de Dakar, relative aux dispositions de la précampagne et qui ne repose sur aucun fondement légal, en plus de ne pas être de son ressort, cette décision donc témoigne d’une administration de plus en plus politisée et partisane. Ce qui expose davantage le pays à tous les dangers.
La tension est donc palpable. Et rien ni personne ne semble en mesure de la faire baisser. Yewwi Askan Wi est sur le pied de guerre et ne veut rien entendre. Pis, son attitude frise parfois l’irresponsabilité, vu sa propension à vouloir braver tous les interdits. Quant au Président Macky Sall, garant de la paix civile et de la stabilité du pays, il ne dit et ne fait rien pour calmer la situation.
Plutôt que de chercher à prendre langue avec son opposition, il préfère recevoir avec les honneurs l’insulteur public Kalifone qui, après s’être acharné sur lui et sa famille, s’est retourné à présent contre ses adversaires. Au grand bonheur du président de la République ? On n’ose pas le croire. En revanche, la seule certitude est que ce pays va inexorablement à vau-l’eau.
Momar DIONGUE