Le Code des marchés en souffrance

C’est en septembre 2014 déjà que le Président Macky Sall, en personne, avait donné le ton. Accusé de favoriser les marchés par entente directe, Macky Sall s’était défaussé à l’époque sur les lenteurs dans les procédures des marchés publics. Déplorant ainsi le conflit permanent existant sur le Code des marchés publics entre les autorités contractantes, qui considèrent qu’il est contraignant, et ceux qui pensent que pour la transparence, le Code devait absolument être maintenu. Et Macky Sall de prendre clairement partie pour ceux qui trouvaient le code des marchés trop contraignant. « Un Président qui est élu pour une durée peut-il attendre que chaque appel d’offres fasse l’objet de conflits interminables ? », s’était-il demandé Avant de répondre à sa propre question : « C’est impossible ». « Il ne faut pas que ce Code soit un obstacle à la réalisation de nos politiques « .
Mieux, pour illustrer l’inconvénient avec la lenteur du Code des marchés, il révéla que « l’Inde a mis à notre disposition plus de 27 millions de dollars pour l’électrification rurale depuis 4 ans. Cet appel d’offres est entre la Dcmp (Ndlr : Direction centrale des marchés publics), l’Armp (ndlr : l’Agence de régulation des marchés publics) et la Cour suprême. Et le gouvernement indien nous a dit que, comme vous ne voulez pas, on reprend notre argent ». Et Macky Sall d’exhortant en son temps le Conseil économique, social et environnemental (Cese) « d’évaluer ce Code sous l’angle de la transparence nécessaire et aussi de la célérité dans l’exécution des politiques publiques ».

Et Macky modifia le Code des marchés en 2014

On sentait donc le coup venir depuis que le président de la République s’était plaint ouvertement des lenteurs qu’engendrait le Code des marchés publics. Aussi, n’a-t-il pas hésité à le modifier une première fois à travers le décret n°2014-1212 du 22 septembre 2014. Et le nouveau Code des marchés publics, issu de cette modification, devait mettre l’accent sur la réduction des délais, l’allègement des procédures et la responsabilisation des autorités contractantes à travers le relèvement des seuils d’application des procédures du Code des marchés publics, avec toujours comme principes le libre accès à la commande publique, l’égalité de traitement des candidats et l’économie.

Dans le préambule du texte, il était écrit : «dans un souci d’efficacité des procédures de passation des marchés publics, il a été jugé nécessaire d’abroger le décret n° 2011-1048 du 27 juillet 2011 portant Code des marchés publics et de le remplacer par un autre qui intègre cette volonté d’allier célérité dans la procédure de passation et respect de la réglementation qui encadre la commande publique».

Le Code des marchés retouché en août 2022

Sept ans après la modification de septembre 2014, le président de la République signé le 12 août 2022 un décret modifiant à nouveau le code des marchés. Il s’agissait cette fois-ci d’un décret permettant à la SENELEC, la SAR, Petrosen, le Réseau Gazier du Sénégal et l’institut du pétrole, de pouvoir acheter du pétrole brut, des équipements sans respecter la procédure prévue par le code. « Ces sociétés, instruments d’application de la politique de l’Etat dans le secteur de l’énergie, en plus de leurs besoins constants et services pointus et spécialisés à brefs délais, évoluent dans un environnement fortement concurrentiel », pouvait-on lire dans le rapport de présentation du projet de décret.  « La nécessité de leur assurer l’efficacité, la réactivité et la célérité exigent l’aménagement de règles de passation de marchés publics souples pour leur permettre de faire face à la concurrence, atteindre les objectifs fixés par l’Etat au secteur de l’énergie et de ne pas les exposer à des goulots d’étranglements aux conséquences difficilement calculables pour l’économie du pays », se justifiait ainsi le Président Macky Sall dans le rapport de présentation du décret.

Toutefois, sa décision était considérée à l’époque par certains spécialistes comme une voie ouverte pour des détournements de deniers publics et d’autres pratiques douteuses si l’achat de pétrole, de gaz et l’acquisition d’équipements n’étaient désormais plus encadrés. D’où la mise en garde de l’ancien Directeur Général de l’Agence pour l’électrification rurale (ASER), Modibo Diop. « Cette décision du Président Macky Sall qui s’inscrit aussi bien dans le fast-track gouvernemental que dans la souveraineté énergétique de notre Pays, malgré les avantages cités ci-dessus, comporte quelques risques majeurs. Car, en revisitant le passé récent du secteur énergétique,  on se rappelle que durant les fortes périodes de black-out de pénurie de gaz et de combustibles des années 2007/2008,  le Président Abdoulaye Wade avait initié un décret similaire pour soulager les populations.

Mais malgré cette dérogation réglementaire de l’époque,  la situation n’avait pas évolué en faveur des populations et, pire encore,  la Cour des Comptes avait décelé une gestion nébuleuse des achats de la Sar autour de 15 cargaisons de fuel de près de 450 milliards », écrivait l’ancien Dg de l’Aser dans une contribution intitulée : « Entre Avantages et Risques Encourus: que Faire?

Quant à Birahime Seck, coordonnateur du Forum civil, il soutenait que le décret modifiant le Code des marchés publics pris par le président de la République Macky Sall, le 12 août 2022, est «synonyme d’une casse organisée pour enrichir directement des entreprises». Et Birahim Seck d’interpeller directement Macky Sall : «L’exclusion des achats mentionnés dans votre (Ndlr : président Macky Sall) décret du 12 août 2022 est en contradiction avec la Constitution et les Directives de l’UEMOA sur les Marchés publics».

 

Le rappel à l’ordre du FMI

 

Faut-il en déduire que c’est le Président Macky Sall qui, en modifiant à deux reprises le Code des marchés pour échapper à sa rigidité et à ses prétendues lenteurs, a ouvert la voie de son contournement par certains de ses ministres comme on l’a vu avec ce fameux contrat d’armement passé par ministère de l’Environnement sous le sceau du secret défense.

En tout cas, avant que n’éclate ce scandale, il s’est vu recadrer par l’équipe du Fonds monétaire international (FMI) qui a effectué une mission du 29 septembre au 6 octobre derniers au Sénégal. « Les efforts d’assainissement sont insuffisants, compte tenu des contraintes fortes de financement et de la vulnérabilité croissante de la dette publique », avait d’abord mentionné la dite équipe . Mieux, d’après Edward Gemayel, qui a dirigé la mission, «des objectifs plus élevés en matière de mobilisation des recettes et des engagements crédibles pour supprimer progressivement les subventions à l’énergie sont nécessaires ». Et de citer, entre autres, la rationalisation des « dérogations au Code des marchés publics pour le secteur de l’énergie » Avant de demander à l’Etat de « finaliser la révision de son cadre juridique pour limiter strictement les dérogations aux appels d’offres ouverts et concurrentiels ». A bon entendeur…

Laisser un commentaire