2017 – 2022, Ousmane Sonko, cinq ans, cinq réussites
De son premier fait d’arme lors des législatives du 30 juillet 2017 à la percée fulgurante de Yewwi Askan Wi dont il est le chef de file avec les élections de ce 31 juillet, il ne lui a fallu que cinq ans, presque jour pour jour, pour faire son trou et réussir ce qu’aucun homme politique n’a réussi avant lui. Et pour cause, Ousmane Sonko est en passe de contraindre le régime de Macky Sall à la cohabitation. Auparavant, ses résultats plus qu’honorables à la présidentielle 2019 pour une première participation, l’affaire Adji Sarr qui a conforté sa notoriété plutôt que de l’enfoncer et les locales du 23 janvier dernier avec la prise de Ziguinchor, sont autant de bons coups à son actif. Cinq ans, cinq réussites. Telle est la prouesse réussie par le leader de Pastef « Les Patriotes ». Gros plan sur les cinq étapes marquantes de la jeune carrière politique de Sonko.
Législatives 2017 : de sa révocation à son élection comme député
Révoqué de la Fonction publique le 30 août 2016 par un décret signé du président de la République, Oumane Sonko réussit très vite à rebondir. Car, un an plus tard, il est élu député au plus fort reste avec près de 7000 voix. Inspecteur des impôts et domaines et maitrisant bien les questions liées à la fiscalité, le jeune fonctionnaire ne se doutait pas que les autorités en place allaient franchir le Rubicon. Ce qu’elles feront, après un moment de tergiversations, tellement Ousmane Sonko était devenu « encombrant » au sein de l’administration fiscale. Secrétaire général du syndicat des travailleurs des impôts et domaines, sa manière de procéder était fortement décriée par les tenants du pouvoir qui le perçoivent comme un fonctionnaire profitant de son rang pour mettre sur la place publique des informations préjudiciables au régime. Devenant de plus en plus gênant, son acte de révocation a finalement été signé par le Président Macky Sall. « Monsieur Ousmane Sonko, inspecteur des impôts et domaines, est révoqué sans suspension des droits à pension pour manquement à l’obligation de discrétion professionnelle », pouvait-on lire dans le communiqué rendu public par les services de la Présidence. Ousmane Sonko prend acte de la décision, non sans éconduire l’huissier de justice venu lui remettre la notification de sa révocation. Mais il ne tarda pas à mettre en place, dès 2014, son propre parti politique dénommé Pastef « Les Patriotes » en compagnie de quelques-uns de ses collègues tels que Birame Souley Diop ou encore Bassirou Diomaye Faye (ils sont aussi des inspecteurs des impôts et domaines). Et, à moins d’un an des législatives de 2017, personne ne pensait qu’il disposait d’assez de force pour battre campagne. Ce qu’il fît. Faisant le tour du Sénégal, continuant à tenir le même discours, le désormais ex-inspecteur des impôts et domaines, s’était donné toutes les chances pour pouvoir siéger à l’Assemblée nationale. Engrangeant près de 7000 voix, il est finalement élu au plus fort reste, voyant ainsi ses efforts récompensés par les électeurs sénégalais. Et ce fut son premier coup d’éclat.
Présidentielle 2019 : un coup d’essai transformé en coup de maître
Après son élection comme député lors des élections législatives de 2017, Ousmane Sonko est candidat à la présidentielle de février 2019. A l’arrivée, il multiplie quasiment par 100 les près de 7000 voix engrangées en 2017 avec environ 700.000 voix lors du scrutin présidentiel de février 2019. Une percée simplement phénoménale ! Mais qui tout de même se comprendre au vu de ses prises de position. En effet, insistant et dénonçant avec vigueur les sujets liés aux contrats pétroliers et gaziers, militant pour une indépendance économique du Sénégal, le leader du parti Pastef « Les Patriotes » était parti pour entrer dans le cœur de plusieurs jeunes sénégalais de l’intérieur comme de la diaspora. Engagée dans la course à la présidentielle, il est soutenu par des personnalités politiques bien connues comme Madiéye Mbodj de Yoonou Askan-Wi du Mouvement pour l’autonomie populaire, de Dr Diallo Diop du Rassemblement national démocratique (Rnd) ou encore du Mouvement de la réforme pour le développement social (Mrds). Dans sa coalition figuraient également l’entrepreneur Pierre Goudiaby Atépa, le rappeur Nitt Doff ou encore l’activiste Guy Marius Sagna. Montant en puissance avec des discours musclés qui touchent à la corruption, à la mal gouvernance, aux relations entre le Sénégal et la France, à la monnaie qu’est le franc CFA, le «patriote» devenant de plus en plus charismatique, commençait à créer l’attraction autour de sa personne. A travers son programme «Jotna», l’ancien inspecteur des impôts et domaines, ne se doutait pas qu’il allait encore mieux profiter de la situation créée par l’invalidation de la candidature de plusieurs personnalités politiques et indépendantes. La majorité d’entre elles ayant décidé d’aller soutenir Idrissa Seck, le candidat de la coalition «Sonko Président» semblait esseulé avec un discours résolument anti système. Fortement critiqué par certains, mais bien soutenu par les jeunes, Ousmane Sonko allait marquer son territoire en se plaçant troisième à l’issue d’une présidentielle qui avait vu la participation de cinq candidats. Avec plus de 15% des suffrages pour sa toute première participation. Il intègre ainsi le trio constitué d’Abdoulaye Wade, Moustapha Niasse et Macky Sall, les seuls hommes politiques avant lui à avoir atteint la barre des 15% dès leur première participation à un scrutin présidentiel.
Mars 2021 : le peuple comme bouclier
Alors que le Sénégal vivait une période de couvre-feu à cause des ravages de la pandémie à Coronavirus, une jeune fille du nom de Adji Sarr surgit de nulle part et accuse Ousmane Sonko de viols répétés. Insistant et donnant des détails, la jeune fille, masseuse de son état, ne pouvait se douter de ce qui allait se passer au Sénégal suite à ses accusations. Elle a d’abord été démentie par l’accusé, puis par la propriétaire du salon de massage, de même que son époux. Il n’empêche qu’en raison d’une plainte écrite et déposée en bonne et due forme à la Section recherches de la Gendarmerie de Colobane, les choses allaient s’accélérer. Quelques jours après, Ousmane Sonko est convoqué par le doyen des juges. Et ce fut le top départ d’une semaine d’émeutes en mars 2021. Des milliers de jeunes, pas convaincus par les arguments avancés par Adji Sarr et persuadés que cette affaire n’était qu’un «complot» pour liquider Ousmane Sonko, s’érigent en bouclier autour du leader de Pastef. Son placement en garde à vue dans les locaux de la Section de recherches déclenche alors une série d’émeutes, non seulement à Dakar, mais aussi dans tout le reste du pays. Entre le 3 et le 7 mars 2021, les forces de défense et de sécurité étaient même incapables de contenir la colère de ces jeunes qui refusaient qu’une « injustice » ne s’abatte sur Ousmane Sonko. En cinq jours, 14 personnes sont tuées et l’on dénombre des centaines de blessés et des dizaines de personnes arrêtées. Une fois encore, les tenants du régime semblaient avoir minimisé la montée en puissance de ce fonctionnaire révoqué de l’administration fiscale en 2016. Dans la foulée de ces manifestations, des centaines de jeunes passent la nuit jusque devant son domicile. Et l’ampleur des manifestations était telle que le Président Macky Sall a dû s’adresser aux Sénégalais dans la journée du 8 mars 2021. C’est également ce jour qu’Ousmane Sonko avait été libéré et placé sous contrôle judiciaire. « Il faut garder cette mobilisation. Il faut qu’elle soit beaucoup plus importante même, mais il faut surtout qu’elle soit pacifique », dira-t-il lors d’une conférence de presse dans les locaux de sa permanence nationale. Et l’affaire Adji Sarr, plutôt que de l’enfoncer, a finalement conforté son statut de principal opposant à Macky Sall.
Locales du 23 Janvier, la prise de Ziguinchor
Tombeur du Président Macky Sall à Ziguinchor et à Bignona lors de la présidentielle 2019, Ousmane Sonko n’a plus jamais perdu sa mainmise sur la région sud. Avec 41.291 contre 32.846, pour le chef de l’Etat à Ziguinchor et 51 438 contre 27 398 à Bignona, le leader de Pastef règne en maître depuis dans ce qui est assurément son fief politique. Mieux, il a même accentué son emprise dans la région par la prise de Ziguinchor à la faveur des locales du 23 janvier dernier. A cette occasion, l’ouragan Yewwi Askan Wi, piloté par le leader de Pastef, avait ravagé le grand département de la région en remportant non seulement le conseil départemental devant Benno Bokk Yaakaar mais aussi 15 des 19 communes que compte ce vaste département. Benno Bokk Yaakaar s’est consolée à Sindian, la seule commune remportée par la coalition présidentielle lors de ces locales du 23 janvier 2022. Dans la commune de Ziguinchor, Sonko avait devancé largement Benoît Sambou, candidat de la coalition Bby (mouvance présidentielle) et Abdoulaye Baldé, candidat de l’Union des Centristes du Sénégal (UCS). Il avait même obtenu un résultat très symbolique et révélateur dans la conquête de la ville de Ziguinchor. Et pour cause, tête de liste de Yewwi Askan Wi, il avait battu son rival, Benoît Sambou, dans son propre bureau de vote au CEM Malick Fall. Sur 232 votants, Sonko avait obtenu 103 voix contre 54 pour Benoit Sambou et 67 voix pour le maire sortant Abdoulaye Baldé. La prise de Ziguinchor, et plus globalement de la région sud, est donc on ne peut plus nette de la part de Sonko. Il faut dire qu’au-delà de son coefficient personnel, il dispose d’une véritable machine électorale avec Yewwi Askan Wi qu’il a eu l’intelligence de mettre en place à la faveur de son rapprochement avec Barthélémy Dias. Lequel a par la suite beaucoup travaillé à le rapprocher de son mentor Khalifa Sall pour finalement porter sur les fonts baptismaux Yewwi Askan Wi qui a décidément le vent en poupe depuis les locales du 23 janvier dernier.
Législatives du 31 juillet : en marche vers la cohabitation
Ousmane Sonko est-il en passe de réussir ce qu’aucun homme politique n’a réussi avant lui ? En tout cas, il est en passe de contraindre le régime de Macky Sall à la cohabitation. Du jamais vu dans l’histoire politique du Sénégal ! Recalé aux législatives de ce 31 juillet suite au rejet de la liste des titulaires de Yewwi Askan Wi dont il était le chef de file, il a malgré tout battu campagne et fait de ce scrutin une sorte de référendum pour ou contre Macky, voire une présidentielle anticipée. Sillonnant le pays à la tête de sa caravane, il a réédité avec succès sa méthode pour la campagne électorale des locales du 23 janvier. Il n’a eu principalement pour cible que le Président Macky Sall et a su faire de ces législatives un tournant capital pour anticiper sur une éventuelle troisième candidature du président de Benno Bokk Yaakaar. Et sa méthode semble avoir payé doublement puisqu’au regard des résultats engrangés par Yewwi, la tentation du 3ième mandat semble de plus en plus improbable, mais il est surtout en passe d’imposer la cohabitation au Président Macky Sall. Une première dans l’histoire politique du Sénégal. Avec la victoire de la coalition au scrutin majoritaire à Dakar, Pikine, Thiès, Rufisque, Tivaouane, Ziguinchor, Keur Massar, Saint-Louis, Kolda, entre autres départements, et dans la diaspora avec une quinzaine de sièges à pourvoir, Yewwi est en passe sinon d’imposer la cohabitation à l’actuel régime, ou du moins à engranger un nombre de députés jamais égalé par une coalition de l’opposition à des élections législatives.